Russie: Un roman à succès dénonce le vide moral des "nouveaux Russes"
MOSCOU, 23 juil 2006 (AFP) - 23/07/2006 04h13 - Cocaïne sniffée dans les toilettes de clubs à la mode, alcool, sexe blasé avec des jeunes beautés intéressées uniquement par les fringues et l'argent, et, bien entendu, conversations désespérées sur le sens de la vie et le sort de la Russie: tel est le cocktail du best-seller russe de cette année.
"Doukhhless" ou "En panne de spirituel". Le titre du roman, dont la première partie apparaît en lettres cyrilliques et la seconde en caractères latins, résume parfaitement son idée force : la nouvelle caste de cadres supérieurs russes, surtout commerciaux, est pourrie, snobe, droguée et pour finir malheureuse, car elle a perdu tout sens des valeurs.
Vendu en quatre mois à plus de 200.000 exemplaires, le livre de Sergueï Minaev, 31 ans (qu'on qualifie parfois de Beigbeder russe), est lu dans les wagons de métro et des trains de banlieues par ceux qui n'auront ni l'argent ni l'audace de pénétrer dans le monde des Nouveaux Russes qui s'habillent chez Gucci, boivent du Dom Pérignon et parlent un langage à eux, mélangeant anglicismes et gros mots.
L'auteur prend soin de préciser qu'il raconte une histoire dont tous les personnages sont imaginaires. Mais il place l'action dans le cadre de boîtes de nuit dont tout jeune russe dans le vent connaît les noms sinon l'intérieur : Galereïa ou Vogue-Café à Moscou, CCCR (URSS) à Saint-Pétersbourg.
Et il décrit les scènes et les conversations qu'on peut y voir et entendre avec beaucoup de réalisme, remarquant notamment qu'il suffit d'utiliser trois expressions pour paraître branché: "c'est nul de chez Nul", "quelle différence?" et "oublie cela".
Le livre porte un sous-titre : "Histoire d'un homme non-véritable". Une allusion à un roman patriotique de Boris Polevoï, "Histoire d'un homme véritable", sur un aviateur héros de guerre. Et une indication supplémentaire sur le malheur du héros de Minaev, qui vit dans un monde artificiel dont il reconnaît lui-même l'absurdité.
Ce dernier, directeur commercial brillant travaillant pour une grande société française important du maïs et des petits pois (d'ailleurs facile à identifier), promène un regard désabusé sur son milieu professionnel.
A ses yeux, celui-ci est composé de rustres paresseux, intrigants et voleurs, rampant devant les chefs étrangers et trompant ceux-ci avec des procédés hérités de l'URSS (on vole 10.000 dollars, on en distribue la moitié à ceux qui pourraient le découvrir).
Minaev ne pardonne rien aux étrangers non plus, décrits comme des demi-ratés qui regrettent de se retrouver en Russie au lieu d'être à Milan ou à Madrid.
La musique américaine joue un rôle important dans le roman de Minaev et de longues citations de paroles de chansons ont d'ailleurs valu à l'éditeur du roman des menaces de Gala Records qui lui a réclamé un million de roubles (30.000 d'euros) de droits d'auteur.
Si le roman démarre sur un ton réaliste, vers la fin l'auteur introduit des éléments oniriques, le héros ayant une vision de la Russie survolée par un Poutine-Batman, qui protège tout le pays de ses ailes et déclame des slogans sur le doublement du PIB et la lutte contre le terrorisme international.
TV5