Verlan
Le verlan est une forme d'argot qui consiste en l'inversion des syllabes d'un mot, parfois accompagnée d'élision. C'est en inversant les syllabes de la locution adverbiale à l'envers que le terme de verlan a été créé. Aussi parle-t-on de formes verlanisées pour caractériser les vocables issus du verlan.Dans le lunfardo ([1]), la forme d'argot parlée à Buenos Aires et apparue à la fin du XIXe siècle dans les quartiers populaires est appelée vesre, inversion syllabique de revés signifiant "envers".
HistoireParlé à l'origine dans les milieux peu éduqués des banlieues, boudé de la fin des années 1930 à celle des années 1970 - excepté dans une chanson de Jacques Dutronc, "J'avais la cervelle qui faisait des vagues", qui contribua à le relancer - le verlan est aujourd'hui employé en France par différentes classes sociales et popularisé par certains chanteurs (Renaud Séchan, "Laisse Béton", 1978) ou certains cinéastes (Claude Zidi, Les ripoux, 1984). Jacques Dutronc avait été précurseur avec sa chanson en verlan daté de 1971 : J'avais la vellecer qui zéfait des gueva (J'avais la cervelle qui faisait des vagues). À l'époque, la chanson passa inaperçue, car personne ou presque ne comprenait alors le verlan.
Au cours des années 1970 et 1980, le verlan est couramment parlé dans les banlieues parisiennes (moyenne couronne). Il a été constitutif d'une identité très particulière des habitants des grandes banlieues dortoirs. Après les blousons noirs (vêtement porté par Renaud Séchan lui-même) qui semblent avoir colporté ce langage des temps anciens, les nouveaux banlieusards (pour partie issus de l'immigration africaine - noire ou maghrébine) se sont approprié celui-ci, en l'intégrant à leur culture en particulier musicale (elle même importée des états-unis: la culture Hip-Hop).
Le début des années 1990, marqué par l'émergence du mouvement groove, représente le début d'une réintroduction massive du verlan dans le langage parlé en France et surtout au sein des nouvelles générations. L'essor du rap, genre musical exploitant des textes généralement engagés, a fortement contribué à la dissémination du verlan dans la population Française.
Les amateurs de rap, qui étaient alors majoritairement des jeunes issus de milieux défavorisés touchés par les problèmes sociaux, se sont retrouvés dans les textes et les idées véhiculés par les rappeurs. Le verlan leur a permis à la fois de se démarquer par leur différence culturelle et sociale et d'apporter une nouvelle identité plus marginale et souvent plaisante à l'âge adolescent.
Des groupes comme NTM, NAP, Sages Poètes de la Rue ou encore le Ministère AMER, précurseurs de la scène rap française, sont les principaux acteurs du retour du verlan dans le pays. Leurs contributions ont porté autant sur les néologismes verlanisés que sur le rétablissement d'anciens termes déjà utilisés, par exemple, par Dutronc ou Renaud.
En 2004 un certain verlan (essentiellement constitué d'un vocabulaire) a fini par être plus ou moins compris et utilisé par la plupart des classes sociales, ce qui en fait un langage en cours de démocratisation loin de son image marginale initiale qui tend à s'estomper. Toutefois, il existe quelques poches géographiques dans lesquelles un verlan très "pur"/"dur" est utilisé quotidiennement. Un tel langage associé à un accent particulier est assurément incompréhensible au non initié et contribue par la diversité des variantes à établir des identités de "quartier" très fortes.
Le développement presque exponentiel des nouveaux moyens de communication, le SMS en tête, a rendu pratique le verlan, notamment en raison du caractère raccourci des formes verlanisées bien plus rapides à taper sur des claviers que leurs équivalents dans la langue française officielle. Cela a conduit des représentants de couches sociales moyennes et élevées, grands consommateurs de ces nouveaux outils personnels de communication, à utiliser le verlan et, partant, à le comprendre.
Remarquons que dans une version médiévale de Tristan et Iseult, on trouve déjà une forme verlanisée du nom de Tristan en « Tan-tris », lorsque le héros doit se faire passer pour un autre...
Morphologie
Si le mot verlan est lui-même le verlan de l'envers, il demeure essentiellement une langue orale qui respecte assez rarement l'orthographe d'origine des mots verlanisés. Exemples :
· chébran = "branché"
· ouf = "fou"
· tromé, trom' = "métro"
· à donf' = "à fond" (un autre usage est simplement "onf")
Le plus souvent, l'écriture d'un mot en verlan est une reconstruction graphique de sa prononciation phonétique .
Exemples :
· laisse béton = "laisse tomber"
· relou = "lourd" (pour signifier "ennuyeux")
· zarbi = "bizarre"
· zyva = "vas-y"
· beuher, beuh = "herbe" (en particulier le "cannabis")
Lorsqu'il faut introduire en début de mot une syllabe qui, dans le mot verlanisé, se réduit à une consonne finale, on ajoute généralement la voyelle eu et l'on perd la voyelle d'origine. Exemples :
· feuj (feu-jui) = "juif" (jui-feu)
· keuf (keu-fli) = "flic" (fli-keu)
· keum ou "keumé" (keu-mé) = "mec" (mê-keu)
· keuss ou "keussê" = "sec" (pour "maigre") (attention "keuss" signifiait aussi "sac" pour dix sacs: dix francs)
· "greum" (greu-mé) = "maigre" (mê-greu)
· teuf (teu-fê) = "fête" (fê-teu)
Parfois, l'usage fait apparaître des mots qui sont le verlan d'un verlan. On appelle parfois cette construction un double verlan. Exemple :
· reubeu ou rebeu = beur = "Arabe". On retrouve l'ordre des consonnes du mot d'origine, mais les voyelles ont été modifiées. L'autre usage pour "Arabe" étant "rabza".
· feum = meuf = "femme"
Certains mots en verlan sont même d'origine étrangère :
· despi = "rapidement", vient de speed ("vitesse") en anglais
· deblé = "bled" (signifie "pays" en arabe et désigne aussi en langue familière le "village isolé", le "patelin" ; il fait référence au pays d´origine, en général les pays du Maghreb)
· babtou = un "Blanc" pour un Africain (vient de toubab)
Le succès d'un mot de verlan peut même faire oublier le mot qui est à son origine. Exemple :
· jobard a donné barjo, mais des jeunes gens qui entendent aujourd'hui jobard, peu usité, y verraient un verlan de barjo
Verlan et linguistique
Le verlan, bien que connotant souvent un manque d'éducation et un usage marginal de la langue, reste linguistiquement très riche et hautement intéressant. Le passage d'une langue officielle à son envers ou verlan se décompose en trois opérations :
· Découpage du mot en syllabes.
· Inversion syllabique.
· Troncature ou élision du mot néo-formé.
Le découpage en syllabes
C'est l'opération en apparence la plus simple, même si bien identifier les syllabes d'un mot n'est pas une opération évidente pour tous.
Inversion syllabique
C'est l'opération en apparence la plus complexe, mais comme aucune règle officielle n'existe pour le verlan, il demeure toujours sujet aux préférences personnelles et un même mot peut avoir plusieurs équivalents en verlan.
Cas des mots monosyllabiques
Un mot composé d'une syllabe unique est impossible à verlaniser. L'inversion a donc lieu au niveau des phonèmes composant la syllabe.
Ex: ça devient en verlan ace (prononcer « asse »), souvent utilisé dans "commace", c'est-à-dire "Comme ça".
On notera que l'habituelle élision de la voyelle n'a pas lieu. Dans ce cas précis, on procède à un ajout de voyelle afin que le mot verlanisé ne finisse pas sur un son sec de consonne.
Cas des mots composés de deux syllabes
C'est le cas le plus simple. La syllabe finale passe en position de tête tandis que la syllabe initiale se retrouve en fin de mot. C'est l'inversion basique.
Cas des mots composés de trois syllabes ou plus
Dès que le mot est composé de trois syllabes, on franchit le seuil de complication.
Rotation
La rotation fonctionne uniquement pour les mots composés d'un nombre impair de syllabes. La syllabe centrale sert d'axe et reste à sa position initiale, tandis que les syllabes de queue passent en tête et vice-versa.
Ex: carnaval composé de « car », « na » et « val » devient en verlan : valnacar
Fusion syllabique
Parfois la rotation donne un résultat peu agréable à l'oreille. Il est alors préférable de fusionner deux syllabes afin de reduire le nombre de syllabes du mot.
Ex: voiture composé de « voi », « tu » et « re ». En fusionnant « tu » et « re », on obtient la syllabe « tur ». On dispose alors de « voi » et de « tur ». Inversion simple comme pour un mot disyllabique : turvoi. On notera l'élision du "e" lors de la fusion.
Inversion subjective
Toujours dans un souci de plaisir auditif, puisque le verlan est surtout un langage oral, on procède souvent à une inversion décidée de manière subjective.
Ex: cigarette composé de « ci », « ga », « ret » et « te » devient en verlan garet'ci. Seule la syllabe initiale a été inversée en passant en position finale.
Inversion objective ou totale
Dans ce schéma, toutes les syllabes qui constituent le mot original sont inversées, c'est-à-dire qu'à la fin de l'inversion aucune syllabe ne demeure au même endroit que dans le mot original.
Ex: arnaque composé de « ar », « na » et « que » devient en verlan qu'arna. On notera l'élision de "e" lors de l'inversion. De même, racaille devient caillera.
Note: ceci me semble pour le moins discutable. En effet: "qu'arna" n'est simplement que le verlan simple de "arna-que" avec élision du 'e' final. Idem pour "ra-caille" qui donne "caille-ra". On notera que les exemples précédents rentre dans ce cadre "ci-garette" donne "garette-ci"; ou encore "voi-ture" qui donne "ture-voi". L'auteur de ces lignes à longtemps pratiqué le verlan, et a identifié ces constructions en analysant les réflexes qu'il utilise pour la construction de ces mots. Il remarque, aussi, qu'une analyse aussi "construite" lui semble tout à fait douteuse, compte-tenu de la liberté employée pour construire les mots du verlan.
Cas irréguliers
À poil ("tout nu") devient à wal-pé (ou encore à "à walp'"). N'importe quoi devient porte-nin wak.
Note: encore des cas tout à fait réguliers!
Troncature
Très souvent, la transformation d'un mot en verlan est accompagné d'une élision. Cette dernière peut se rapporter à une lettre unique ou à un groupe de lettres, en majorité des voyelles.
Ex: femme composé des syllabes « fem » et « me » devient mefem et, après élision, mef ou plutôt, comme l'attestent les dictionnaires aujourd'hui, meuf. Dans ce cas, voyelle et consonne finales sont élidées.
Note: encore discutable, il s'agit plutôt de "femme" -> "fa-meu" -> "meu-fa" -> "meuf" (par élision)
Exemples divers et variés tirés de chansons de hiphop
· La chebou = la bouche
· Le genar (prononcez gen-ar) = l´argent
· Avoir la gera = avoir la rage
· Être vénère = être énervé
· Etre dans la demer = être dans la merde
· Un Séfran = un Français
· La turvoi = la voiture
· C’est comme as = c´est comme ça
· Une bebon = une bombe
· Ça cheumar = ça marche
· Je tréren = je rentre
· Ouf = fou
· Soirce = ce soir
· La seucha = la chasse
· Une teuf = la fête
· Un neski = un skinhead
· Des yeuf = des feuilles
· Relou = lourd
· Tu l’néco = tu le connais
· La zic (ou zicmu) = la musique
· Auch = chaud
· Dechau = chaude
· Le pera = le rap
· Le popi = le hiphop
· Un tipeu = un petit (un enfant)
· Reuch = cher
· Un zen = le nez
· Un oinj = un joint
· Un tarpé = un pétard
· Du teuch = du shit
· Un rebeu = un beur
· Un sego = un gosse
· Le dass = le SIDA
· Téma ! = mate ! (au sens de "regarde !")
· Ça me fait pétri = ça me fait triper
· Ça me fait golri = ça me fait rigoler
· Un iench = un chien
· La tess (ou la téci) = la cité
· La bacaz = la kasba
· Le babtou = le toubab
· Ché aps = je ne sais pas
· Partir en cettesu = partir en sucette
· Shéfla sur qqn = flasher sur qqn
· Les peupon = les pompes (les chaussures)
· Foncedé = défoncé
· Zarb (ou zarbi) = bizarre
· Un skeud = un disque
· Le deblé = le bled
· Un Cainri = un Ricain (un Américain)
· une chemou = une mouche
· géman = mangé
· otu = tuo
· o²
Le verlan dans d'autres langues
· (en) En bosniaque
· (en) En irlandais
Il y a aussi des exemples comme
· David = vida
· Guillaume = yomgui
· Jacques = keuja
· mouche = chemou