Les écrivains entre second boulot et prix littéraires
PARIS, 22 août 2006 (AFP) - 22/08/2006 06h06 - Loin du cliché de l'intellectuel mondain vissé sur les plateaux de télévision, une grande enquête sur la condition des écrivains en France montre les auteurs confrontés à la difficulté de "vivre de leur plume", mais qui pour rien au monde ne cesseraient d'écrire.
Pendant trois ans, le sociologue Bernard Lahire, professeur à l'Ecole normale supérieure, chercheur au CNRS, a enquêté auprès de 503 écrivains liés à la région Rhône-Alpes, où ils sont nés, résident ou sont publiés.
Une enquête d'une ampleur inédite qui montre des écrivains face aux difficultés matérielles, contraints à une "double vie" pour vivre leur passion.
Car le "métier" d'écrivain rapporte peu, souvent même rien du tout.
"Acteurs centraux de l'univers littéraire, les écrivains sont pourtant les maillons économiquement les plus faibles de la chaîne que forment les différents professionnels du livre", écrit Bernard Lahire dans "La condition littéraire" aux éditions La Découverte.
42,5% des écrivains qui ont répondu à un épais questionnaire n'ont perçu aucun droit d'auteur dans l'année qui a précédé l'enquête (2003) et ces droits ont représenté moins de 10% des revenus de 28,1% d'entre eux.
10% seulement en ont tiré plus de la moitié de leurs revenus et le mieux loti est une exception avec plus de 79.000 euros de droits.
Pire! "Les plus professionnels d'un point de vue littéraire, ceux qui mettent le plus d'art dans ce qu'ils font" sont ceux qui ont le moins de chances de vivre des revenus de leurs publications.
D'où la nécessité d'un "second métier". Rien de nouveau, d'ailleurs. Balzac était clerc de notaire et Maupassant, commis de ministère.
Les auteurs interrogés sont 49,2% à exercer une activité rémunérée, 49,4% en ont exercé une par le passé et 1,4% seulement n'en ont jamais exercé.
Des "seconds métiers" liés à l'enseignement, l'écriture ou la culture (63,8% sont cadres ou exercent une profession intellectuelle). Mais on compte également 1,2% d'agriculteurs et 1,2% d'ouvriers. Marc Lambron, Prix Fémina 1993, est maître des requêtes au Conseil d'Etat, et Yves Bichet, 14 titres, dont plusieurs chez Fayard et Gallimard, artisan maçon.
A partir de là, le temps dégagé pour écrire est la principale préoccupation de l'écrivain. Ceux du matin se lèvent à 04H ou 05H, ceux du soir y passent une partie de la nuit.
En France, écrivain reste un métier d'homme (62,8% des auteurs interrogés), alors que l'on compte une majorité de femmes parmi les lecteurs, et les auteurs sont "avant tout issus des classes supérieures et moyennes".
Dans ce "jeu littéraire", Bernard Lahire distingue trois grandes figures. Ceux qui pratiquent la littérature comme un loisir. Ceux qui sont "pris au jeu", dont ils font "le moteur premier de leur existence" tout en conservant une activité rémunérée. Ceux, enfin, qui peuvent "gagner leur vie" en jouant, "joueurs professionnels dans le sens économique du terme".
Souvent décriés, les prix littéraires restent un élément essentiel. "Seuls, peut-être, les grands prix littéraires contribuent à stabiliser, au moins durant quelques années, la situation économique de l'écrivain en lui assurant un lectorat suffisamment étendu", résume Bernard Lahire.
("La condition littéraire" de Bernard Lahire - Ed La Découverte - 619 p. - 25 euros - A paraître le 31 août)
TV5monde